29 January 2014

Ce que j'aurais voulu dire aujourd'hui mais n'en ai pas la force

Plaque Rose VALLAND
Source: MNR
Le crime contre l’humanité est imprescriptible. Le pillage qui l’accompagne est également imprescriptible. Et c’est peut-être pour cela que les gouvernements de tous les pays concernés directement ou indirectement par la deuxième guerre mondiale et la Shoah ont vite fait de passer des lois visant à exonérer un maximum de personnes, de parties tierces. Une épuration en bonne et due forme du marché de l’art a ainsi été évitée de justesse, au grand dam des victimes. Au fond, ces lois sont immorales et constituent un outrage à la société civile. La realpolitik de l’après-1945 exigeait que les crimes d’hier soient ensevelis et oubliés au nom de l’unité de la nation. Comment peut-on unifier une nation sur les cadavres de ses propres victimes ? Là, vous avez demandé l’impossible, en demandant à la victime d’accepter son tortionnaire, le brigand qui l’a dépouillé de ses biens et l’opportuniste qui a fait fortune en les recyclant. Comme on dit en anglais, « nothing personal. It’s only business. » Dans quel monde vivons-nous donc, un monde qui encourage ces compromis, ce déni du passé, quitte à l’effacer, le réécrire pour produire une version plus douce de l’Histoire. Une version douce du génocide, une version douce du pillage et de la spoliation. Nous vous spolions avec tous nos remerciements, merci d’avance. Veuillez donc vous adresser au bureau un tel si vous avez des questions concernant le prélèvement de vos biens, occasionnés par votre malencontreux statut de juif.

Désolé, c’est la loi. On ne peut rien y faire.

Par contre, vos tableaux, votre mobilier, vos objets d’art sont d’une singulière qualitè qui intéressera sans aucun doute l’administration de nos musées. En cela, vous aidez à enrichir le patrimoine culturel de l’Etat. Soyez-en fiers, relevez donc la tête. Vous n’êtes pas une victime. Ces biens appartiennent à l’Etat dont nous sommes les garants.

Ce discours, quoiqu’hypothétique, reflète un aspect de la réalité historique : l’Etat s’arroge le droit de ne rien rendre au propriétaire lésé, surtout si l’objet spolié en lui-même plaît aux représentants culturels de l’Etat, ceux qui font les choix pour les collections.

Mais cela ne nous empêche pas de dire la vérité et d’exposer au grand jour la réalité des crimes commis contre ceux qui ne sont pas ici pour articuler leurs griefs.

C’est vrai que l’homme est cruel, que nous pouvons être cruels les uns envers les autres. L’Etat se rend cruel envers les spoliés en faisant montre d’indifférence et même d’hostilité à leur égard, et pourquoi ? parce qu’ils ont l’audace de réclamer leur bien qui languit dans ses réserves, ou pire encore, qui décore les murs de ses salles d’exposition ?

C’est de cela qu’il s’agit ici, le reste n’est qu’une farce. Pourquoi sommes-nous ici en train de débattre ce qui aurait dū être fait il y a des décennies ? pourquoi ces MNR ? la question aurait dû être réglée dans les années cinquante. Si vous les aviez tous vendus, il s’agirait d’une autre discussion. Mais non, ils vous plaisaient trop, ces tableaux, ces dessins, ces aquarelles, ces charmantes tasses, ces ivoires, ces pendants de luxe. Il fallait absolument que l’Etat les « protège » si possible ad perpetuitam. Espérons que personne ne vienne les réclamer, sinon on risque de les perdre. Donc, nous sommes ici parce que nos ancêtres en 1945 ont succombé au vice de l’avarice ? l’idée de posséder ce qui ne vous appartient pas vous donne tant de plaisir, tant de pouvoir ? En ce sens, la France ne fait pas un cas d’exception car tous les pays ont le même comportement, surtout ceux-là où l’Etat joue un rôle culturel important comme gérant et propriétaire d’œuvres et d’objets d’art et de biens culturels pour la Nation. Aux Etats-Unis, ce sont les musées privés qui jouent le rôle de Dieu comme garants et propriétaires de la Culture avec un K.

Je suis ici pour voir si vous êtes courageux. Si vous avez le courage de tourner la page et d’adopter un comportement plus éthique concernant la destinée des objets qui ne vous appartiennent pas mais qui demeurent toujours dans vos collections, et ce depuis plus de 70 ans. Avez-vous le for intérieur pour mettre fin à ce qui constitue en fait un deuxième larcin ? Vous savez bien que nous sommes sur cette terre pour un bref moment, et qu’à notre mort, il incombera à la génération suivante de vous poser les mêmes questions et de vous rappeler que vous êtes complice d’un crime contre l’humanité lorsque vous vous obstinez à ne pas restituer les objets qui sont dans vos sous-sols, vos entrepots, vos salles d’exposition, vos bureaux, vos chateaux et demeures, et qui ne vous appartiennent pas. Justice sera rendue lorsque vous accomplirez cette mission. Entretemps, mes enfants et mes petits-enfants viendront vous rappeler gentiment de vos responsabilités.